“La Route Enchantée”

1949-1994

Au temps des voyages sans téléphone ni internet

Le 8 mars 1949, naît à Poitiers “La Route Enchantée”, une association de type loi 1901, composée uniquement de bénévoles qui souhaitent, comme il est écrit dans ses statuts, “faire connaître [aux adhérents] les possibilités touristiques et culturelles régionales, en favoriser la prospection, le développement et l’amélioration” et proposer “des voyages collectifs, randonnées, excursions et séjours ” en France et à l’étranger.

L’idée de cette “agence de voyage” associative a germé dans l’idée de Maurice Renaud, teinturier de profession, ayant arrêté l’école à 13 ans et surtout ancien PG, comprenez ancien prisonnier de guerre en Allemagne.

Maurice Renaud n’est pas un inconnu à Poitiers. A la Libération, il a participé à la création de l’Association Départementale des Anciens Prisonniers de Guerre, connue aujourd’hui sous le nom d’ACPG-CATM, et à la fondation de la section de Poitiers qui compte alors quinze secteurs et plusieurs centaines d’adhérents. Pour financer les distributions de charbon et de vêtements aux anciens prisonniers désargentés ainsi que la colonie de vacances des enfants de PG à Saint-Georges-de-Didonne en Charente-Maritime, il organise régulièrement, avec deux autres camarades, des courses hippiques dans le parc poitevin de Blossac, des courses sur l’hippodrome de La Roche-Posay, des banquets,…

Au début de l’année 1949, Maurice Renaud propose, avec son épouse Marcelle et une amie de celle-ci, d’aller plus loin dans les activités proposées par l’association des Anciens Prisonniers et, en cette .période d’enthousiasme post-guerre, de créer “La Route Enchantée”, sous la forme d’une association autonome et ouverte à tous les Poitevins, qu’ils soient anciens combattants ou non.

Désormais, chaque année, pendant 45 ans, Maurice Renaud organise sorties d’une journée, séjours en France et voyages en Europe, voire au-delà en tant que coorganisateur.

A titre d’exemple, en 1984, il propose, au départ de Poitiers dans la Vienne, outre deux sorties vers une destination locale en avril, les Floralies de Nantes et une croisière sur la Garonne en mai, douze jours en Espagne et Portugal en juin, une soirée au Puy du Fou en juillet et au Festival de Confolens (folklore) en août ainsi qu’une petite semaine en Bretagne en septembre.

Au total, en plus de quarante, les adhérents de l’association auront pu découvrir à plusieurs reprises toutes les régions françaises, de la Bretagne à la Corse, du Pays Basque aux plages du débarquement, de l’Alsace à la Provence. Mais aussi de très nombreux pays européens : la Grande-Bretagne et ses îles de Jersey et Guernesey, l’Italie plusieurs fois, les fjords norvégiens, la Yougoslavie, la Suisse, la Roumanie, la Pologne, l’Allemagne de l’Ouest, l’URSS,… Sans oublier la Turquie aussi bien dans sa partie européenne que dans son territoire oriental.

Mais comment Maurice Renaud a-t-il pu préparer ces voyages sans internet et même, dans l’immédiat après-guerre, sans téléphone ?

Du haut de ses 102 ans, Maurice Renaud sourit malicieusement lorsqu’on l’interroge à ce sujet et, armé de son déambulateur, invite son interlocuteur à le suivre dans son bureau afin de lui montrer ses archives. Pour chaque voyage, il conserve précieusement, sous chemise carton, le dossier-programme qui était remis à chaque participant ainsi que le compte-rendu détaillé du voyage, rédigé à plusieurs mains et qui était offert aux voyageurs à titre de souvenir lors d’une “soirée films et diapos” au c?ur de l’hiver suivant. Et, dans des boîtes, des milliers de diapositives et des kilomètres de film attendent d’être transférée aux Archives Départementales dans le fond Maurice Renaud qui est en cours de création.

Au milieu de tout cela, un dossier contient le double des lettres, tapées à la machine, que Maurice Renaud envoyait aux voyagistes, aux hôteliers, aux restaurateurs, aux responsables de musées, à la SNCF, à Air France, aux consulats et aux ambassades, afin d’obtenir renseignements et devis. “Tout se concluait par lettres”, tout simplement confie Maurice “parce que rien ne vaut un écrit”.

C’est lui aussi qui traçait l’itinéraire, armé d’une ou de plusieurs cartes Michelin et qui calculait les kilomètres à parcourir chaque jour, en tenant compte des haltes au restaurant et des visites bien-sûr, à la main bien-sûr, les calculettes n’existant pas encore.

A-t-il rencontré des problèmes particuliers ? Une fois seulement, en Italie, où une participante a dû être rapatriée en urgence. Son épouse Marcelle, alors présidente de “La Route Enchantée”  continue seule le voyage avec ses vacanciers  tandis qu’il demeure à Rome jusqu’au départ de l’avion sanitaire. Il rejoint le groupe à Florence par train, dans la soirée.

Il y a bien eu aussi ces inondations au Sri Lanka qui ont failli compromettre le séjour coorganisé par “La Route Enchantée” et la “Coop”, abréviation de la Coop Atlantique qui regroupe alors de nombreux magasins coopératifs, les COOP de notre enfance, devenus majoritairement aujourd’hui des magasins U, car , pour les destinations lointaines, Maurice Renaud préférait mettre en place un partenariat. Cest ainsi qu’il a emmené les Poitevins au Maroc, au Canada, en Asie,…

Ces activités d’organisateur bénévole de voyages valent à Maurice Renaud d’intégrer le Conseil d’Administration du Syndicat d’Initiatives de Poitiers, puis, plus tard, de l’Office du Tourisme dont il est le vice-président pendant dix ans.

Il participe également à la création du “Circuit des Abbayes” en collaboration avec le Conseil Général de la Vienne.

Le 14 avril dernier, Maurice Renaud a fêté ses 102 ans. Devant quelques amis assemblés – très peu, Covid oblige – , il a fredonné la chanson de “La Route Enchantée” :

Qu’ils soient de Poitiers dans la Vienne,
D’ici, de là, de n’importe où,
N’importe où,
De quelque petit trou qu’ils viennent,
Ils sont bienvenus parmi nous,
Parmi nous,
Au sein de la “Route Enchantée”
On est admis de très grand cœur
Suffit d’avoir à sa portée
Une têt’ sympa et beaucoup d’bonne humeur
De bonne humeur.
Pour faire des voyages
Et quel que soit l’âge
En France, à l’étranger
Vous pourrez voyager.
Et là, il faut voir comment,
Avec beaucoup d’agrément,
On chante, on rit très tard
Sans penser au plumard.
On s’en met plein les yeux
On fait de chouettes visites
En tous temps, en tous lieux.
Vous qui désirez
De temps en temps vous amuser et vous distraire,
Oui, vous passerez
De bons moments, sans nul regret, tout au contraire.
De tout notre cœur ?
Chantons tous en cœur
Ces trois mots,
Que redit l’écho,
“A la prochaine”.

Isabelle Soulard
Secrétaire du Cercle Stendhal