L’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris en Avril 2019 est survenu dans un contexte propice à une série d’évolutions sur l’Ile de la Cité : les plus marquantes étaient l’évacuation du Palais de Justice vers la Cité Judiciaire des Batignolles, le retrait, par l’APHP/Assistance Publique Hôpitaux de Paris, de 17.000 m² dans l’Hôtel-Dieu, en façade de l’Esplanade Jean-Paul II de Notre-Dame, et, dans cette perspective précise, la mission Perrault-Belaval, diligentée par Fr. Hollande et A. Hidalgo, pour une réflexion sur le devenir de l’Ile.

Comme souvent en pareil cas, les conclusions de cette mission, présentées en 2017 à la Conciergerie, ont soulevé des tollés, surtout chez ceux qui se sont offusqués de certaines de ses propositions ; s’agissant des abords immédiats de la Cathédrale, la mission proposait d’aménager une portion du parvis en verre afin d’en dévoiler la crypte, de créer deux nouvelles passerelles piétonnes vers chacune des rives et un débarcadère sur la rive Sud. Dans son diagnostic de la situation, la mission Perrault-Belaval avait mis en lumière le caractère très déstructuré de cette île matrice de Paris, avec moins de 1.000 résidents permanents et des activités -Police, Justice, Santé, Culture, Religion- en fonctionnement hermétique.

C’est dans cet espace historique mais hétéroclite que se déployaient chaque année, jusqu’en 2018, 13 à 14 millions de touristes, aimantés par la Cathédrale, dont quelque 300.000 enduraient d’inconfortables files d’attente pour avoir le privilège de monter à pied aux Tours. Notre-Dame est pour eux une référence majeure dans l’histoire de France et aussi, selon l’écrivain Eugène Michel, la plus belle et la plus harmonieuse cathédrale gothique de France (selon son étude comparative avec 12 d’entre elles). Un million de visiteurs allaient aussi à la Sainte Chapelle, environ 500.000 à la Conciergerie et, en nombre plus modeste, à la Crypte Archéologique. Il est clair que ce public a été pris en compte par la mission précitée.

Mais l’incendie a évidemment instauré d’autres urgences en matière d’accueil touristique. Les semaines qui ont suivi l’incendie ont vu affluer des milliers de visiteurs bouleversés, consternés et évidemment frustrés, tournant autour de l’édifice et prenant des photos du désastre, de près et depuis les ponts et les rives. Très vite s’est posée la question de la sécurisation du site – chutes de débris, émanations de plomb…- mais aussi sauvegarde des lieux puisque quelques indélicats se faufilèrent sur les décombres pour y dérober des pierres : trophée honteux ! Aussi, sous la conduite énergique du Général Georgelin, nommé par le Président de la République pour diriger les travaux de réparation, une très haute palissade, coiffée de fil de fer barbelé, a été érigée pour interdire tout accès au chantier.

Dès Mai 2019, l’AFEST/Association Francophone des Experts & Scientifiques du Tourisme et le Comité Agora ont conjointement demandé à la Maire de Paris, au Ministre de la Culture et au Président des Monuments Nationaux d’aménager un accueil valorisant –provisoire mais devant tout de même durer 5 ans- pour les visiteurs éplorés de Notre-Dame, touristes et Parisiens. Et, quelques mois plus tard, ce fut chose faite avec une exposition photographique sur les hautes palissades du chantier : en façade, à l’appel de Mgr Aupetit, quelques uns des 6.000 dessins d’enfants reçus représentant la cathédrale ; sur le flanc Nord, de grandes photos et descriptifs de l’incendie, de la sécurisation des lieux et des « Premiers mois d’une Renaissance », avec les 40 corps de métiers à l’œuvre (cordistes, charpentiers, échafaudeurs, scientifiques, verriers…).

Cette exposition retient l’attention des visiteurs et constitue un accueil intelligent. Au cours des Journées du Patrimoine de 2020, on a aussi pu assister à des démonstrations publiques de charpentiers construisant des poutres à l’ancienne. Par ailleurs, à la demande de l’archevêché qui reçoit des dizaines de milliers de pèlerins chaque année à Notre-Dame (12.000 rien que pour le pèlerinage de Paris à Chartres à la Pentecôte), une reproduction de la statue de la Vierge du Pilier, emblématique de la Cathédrale, a été érigée sur l’Esplanade et elle constitue aujourd’hui un point d’accueil religieux pour tous, les pèlerins en particulier. Entre temps ; quelques uns des nombreux cafés aux alentours ont ouvert une vente à emporter : Café, glace et vin chaud y sont très demandés.

L’Ile de la Cité, île-monument, est appelée à se transformer, parallèlement au retour progressif et espéré de ses visiteurs dès la fin de la pandémie. A cet égard, le point le plus sensible est le devenir des espaces de l’Hôtel-Dieu libérés par l’APHP en façade de l’Esplanade. A la suite d’un appel d’offres, le consortium Novaxia a proposé un ensemble d’aménagements comprenant notamment des logements sociaux, une crèche, un incubateur de start-ups médicales, des commerces et restaurants. La presse et les défenseurs du site n’ont retenu que les deux derniers pour s’insurger contre le projet et, depuis lors, tribunes et pétitions se sont succédées dans Le Monde et Le Figaro, entre autres, sous les plus belles signatures, pour faire des propositions alternatives :

  • Stéphane Bern plaide pour un accueil des plus démunis de la capitale et des victimes de violences, poursuivant ainsi la tradition hospitalière de l’Hôtel-Dieu, aussi ancienne que la Cathédrale.
  • Un groupe de professeurs de médecine, déplorant la fermeture successive des trois musées de la médecine de Paris (Orfila, APHP et Dupuytren) y voit l’occasion de créer le grand musée de la médecine dont Paris est privé et qui existe dans la plupart des grandes capitales européennes ; cette réalisation serait également un hommage aux soignants. En attendant, de grandes collections médicales dorment dans des réserves.
  •  La mission diligentée en 2018 par la Ministre de la Justice N. Beloubet sur la mémoire du terrorisme y préconise la création d’un mémorial des victimes mondiales du terrorisme.
  • Certains y verraient bien la création d’un Musée de l’Oeuvre de Notre-Dame, y présentant les trésors de la Cathédrale.
  • Un groupe de médiévistes souhaiterait y voir une présentation de l’histoire de l’Ile, depuis l’Antiquité, -quand, au 3° siècle avant notre ère, elle fut investie par la tribu gauloise des Parisii-, au Moyen-âge où la Cathédrale fut construite en une trentaine d’années, à l’ère révolutionnaire jusqu’à la Libération de Paris : en la matière, on ne peut que constater un vide pédagogique pour les visiteurs.
  • Pour sa part, le Comité Agora, dédié à la valorisation de l’Esplanade, plaide essentiellement pour un destin culturel et non commercial sur cette façade emblématique, à l’intention des visiteurs qui reviendront en nombre fêter la Cathédrale réparée.

L’incendie a donc révélé ou mis en exergue les enjeux de toute cette île-monument et le fait touristique en est clairement partie prenante. Pour sa part, la Ville de Paris, assez négligente depuis des années avec le classement UNESCO des Rives de Seine, obtenu en 1991, semble, depuis l’incendie, vouloir le reprendre en compte, ce qui implique une organisation permanente de l’accueil des visiteurs.

Quant à l’Archevêché, mandataire de la Cathédrale, il a entamé une réflexion sur certains aménagements intérieurs d’art contemporain : des vitraux dans les chapelles basses et des bancs design et confortables pour remplacer les vieilles chaises en paille, -une bonne manière à l’égard du public.

Bien sûr, l’arrivée de la pandémie a un peu retardé les travaux lors du premier confinement, et rendu la Cathédrale encore plus inaccessible pour ses millions de touristes. Mais, si le spectre de la Covid 19 se délite vers la fin de 2021 comme les perspectives de vaccination le laissent espérer, alors, pour les 3  années de restauration qui suivront, quand peu à peu les touristes reprendront le chemin de Paris et de la France, il faudra leur assurer d’une part un accueil temporaire amélioré, d’autre part prendre des décisions claires sur le devenir de l’Ile et, espérons-le, sur un programme résolument culturel à l’Hôtel-Dieu, en façade du monument le plus visité d’Europe.   

Claude ORIGET du CLUZEAU

Février 2021